De la TVA sur la mise à disposition de véhicules de société ?
Lorsqu’une société met à disposition de son dirigeant ou de son travailleur un véhicule à titre onéreux (y compris pour les besoins privés), elle effectue, dans la rigueur des principes, une prestation de service soumise à TVA.
Dans la pratique, nous nous apercevons toutefois qu’aucune TVA n’est portée en compte sur la mise à disposition des véhicules de société. L’administration fiscale belge ne semble pas préoccupée par l’application de la TVA à cette mise à disposition de voitures de société ; lors de contrôles, elle se limite généralement à vérifier le taux de déduction appliqué.
Cette situation risque de changer à l’aune de la jurisprudence de la Cour de Justice et de la circulaire adoptée ce 4 septembre 2023 sur l’application de la TVA à la mise à disposition de véhicule de sociétés dans des situations transfrontalières, rédigée en collaboration avec l’administration fiscale luxembourgeoise.
Bien que la circulaire ne vise pas à proprement parlé les situations nationales, nous ne pouvons écarter un possible changement d’attitude de l’administration belge quant à l’application, en pratique, de la TVA sur les mises à disposition de voitures de société.
a. Jurisprudence de la Cour de Justice
Par un arrêt du 20 janvier 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne décide que constitue une prestation de service à titre onéreux, dès lors en principe soumise à TVA, la mise à disposition d’une voiture de société à un membre du personnel, en contrepartie d’un loyer, ce loyer pouvant consister en une diminution de sa rémunération.
Si le véhicule demeure en permanence à disposition du membre du personnel (y compris pour ses besoins privés) pour une durée de plus de 30 jours, cette mise à disposition est réputée être localisée, pour les besoins de la TVA, à l’endroit où le membre du personnel a établi son domicile ou sa résidence habituelle[1].
Ainsi, si une société luxembourgeoise met une voiture à disposition d’un de ses membres du personnel (dirigeant ou employé) résident belge, la TVA belge devrait être due sur cette mise à disposition dans la mesure où elle est effectuée à titre onéreux.
Toutefois, il apparait en pratique que la TVA belge n’est que rarement portée en compte sur la mise à disposition de véhicules de société.
L’administration fiscale luxembourgeoise, suivie ensuite par l’administration fiscale belge, se sont positionnées par voie de circulaires suite à cet arrêt de la Cour de Justice.
b. Position de l’administration fiscale luxembourgeoise
Suite à l’arrêt de la Cour de Justice, l’administration fiscale luxembourgeoise a très vite adopté une circulaire pour déterminer dans quels cas la mise à disposition d’une voiture de société devait être considérée comme effectuée à titre onéreux.
Ainsi, suivant la circulaire n° 807 du 11 février 2021, la mise à disposition d’un véhicule de société à un employé est à considérer comme effectuée à titre onéreux si elle fait l’objet :
- D’un paiement de l’employé à l’employeur, ou ;
- D’une rétention, par l’employeur, d’une partie de la rémunération en espèce de l’employé, ou ;
- D’un choix par l’employé entre différents avantages offerts par l’employeur conformément à un accord entre les parties en vertu duquel le droit d’utiliser le véhicule de société impliquerait une renonciation à d’autres avantages (car allowance/mobility allowance permettant à l’employé de choisir entre une voiture ou un autre moyen de transport et une rémunération en cash par exemple).
Dans une circulaire plus récente du 28 avril 2023, l’administration fiscale luxembourgeoise précise que la mise à disposition d’une voiture de société doit également être considérée comme effectuée à titre onéreux au cas où l’employeur et l’employé se mettent d’accord sur un montant en numéraire dont l’employé peut disposer pour la mise à disposition de la voiture ou lorsqu’ils fixent des critères permettant de déterminer le coût en numéraire d’une telle mise à disposition. Tel est le cas lorsque l’employé a droit à un « budget voiture » correspondant à un montant déterminé.
Cette mise à disposition doit alors être soumise à TVA. La base imposable fixée par l’administration luxembourgeoise est la valeur normale du service, c’est-à-dire le montant des dépenses engagées par l’entreprise pour mettre à disposition le véhicule, tels que le montant des loyers ou redevances acquittés au louer ou au crédit-bailleur ainsi que tous les autres frais pris en charge par l’entreprise.
Toutefois, si le véhicule est également utilisé pour les besoins professionnels, la valeur normale est à réduire en conséquence, pour ne tenir compte de que des trajets effectués à titre privé.
c. Position de l’administration fiscale belge
a. Situations nationales : circulaire 36/2015
L’administration fiscale belge avait, quant à elle, déjà envisagé l’hypothèse d’une mise à disposition d’un véhicule à titre onéreux dans sa circulaire n° 36/2015.
Selon l’administration fiscale belge, il y a mise à disposition à titre onéreux lorsque la contrepartie existe dans :
- Le paiement d’une somme d’argent ;
- La diminution du salaire du gérant, de l’administrateur ou du membre du personnel d’une valeur correspondant à la mise à disposition ;
- L’inscription au débit du compte courant du gérant, de l’administrateur, etc., à concurrence de la rétribution convenue[2].
En cas de mise à disposition d’un véhicule à titre onéreux, la base d’imposition à la TVA est égale à la valeur normale calculée comme suit :
- Si la voiture est acquise par la société : ((Prix d’achat / 5) + Frais) * (50 % - %Professionnel)[3] ;
- Si la voiture est prise en location par la société : ((Loyer) + Frais) * (50 % - %Professionnel)[4].
En pratique, nous constatons peu de cas d’application.
b. Situations transfrontalières : circulaire 2023/C/72
Afin de tenir compte de l’arrêt précité de la Cour de Justice, l’administration fiscale belge a rédigé, en collaboration avec l’administration luxembourgeoise, une nouvelle circulaire 2023/C/72 du 1er septembre 2023, publiée ce 4 septembre sur Fisconetplus.
Cette circulaire ne vise que les situations transfrontalières. L’administration précise que les situations nationales restent soumises aux règles décrites dans la circulaire de 2015 et feront éventuellement l’objet d’une publication ultérieure.
Sont ainsi visées, les situations suivantes :
- L’employeur est situé en dehors de la Belgique et le membre du personnel est résident belge ;
- L’employeur est situé en Belgique et le membre du personnel n’est pas résident belge.
Par « membre du personnel », l’administration vise le personnel sous contrat de travail mais également les administrateurs et dirigeants d’entreprise.
L’administration fiscale belge définit la mise à disposition d’un véhicule effectuée à titre onéreux en renvoyant expressément à la circulaire 36/2015 (n° 32 et 34). Elle ajoute toutefois qu’est également effectuée à titre onéreux, la mise disposition qui fait l’objet d’un choix du membre du personnel entre différents avantages offerts par son entreprise conformément à un accord entre les parties en vertu duquel le droit d’utiliser le véhicule d’entreprise impliquerait une renonciation à d’autres avantages.
Le membre du personnel doit pouvoir bénéficier d’un droit d’utilisation exclusif, en ce compris pour ses besoins privés.
En ce qui concerne la base d’imposition soumise à la TVA, l’administration renvoie également à sa circulaire 36/2015 (points 158 et 159).
Elle précise que les frais à prendre en considération dans le calcul sont les frais grevés de TVA et se rapportant au véhicule. Dès lors, les frais d’assurance ne peuvent pas être repris dans le calcul s’ils sont exemptés de TVA. En revanche, les frais de carburant, soumis à la TVA belge, font partie du calcul.
En ce qui concerne le pourcentage de déduction, celui peut dépendre d’un Etat membre à l’autre. S’il est limité à 50 % en Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg accepte une déduction à 100 % dans le chef de l’employeur.
Le pourcentage professionnel peut être déterminé selon l’une des trois méthodes précisées dans la circulaire 36/2015 (registre des trajets, méthode semi-forfaitaire ou forfait de 35 %).
L’entreprise étrangère qui met à disposition à titre onéreux un véhicule à un membre de son personnel résident belge devra s’identifier à la TVA en Belgique pour y déclarer et payer la TVA sur cette mise à disposition. Elle peut toutefois, si les conditions d’application sont rencontrées, faire usage du guichet unique (OSS).
Enfin, l’administration ajoute qu’eu égard au caractère interprétatif des décisions préjudicielle de la Cour de Justice, la TVA belge devrait être appliquée aux mises à disposition de véhicule à titre onéreux depuis l’entrée en vigueur de l’article 21bis, § 2, 7° du Code TVA (qui détermine la localisation des locations de longue durée d’un moyen de transport dans l’Etat de résidence du preneur), soit depuis le 1er janvier 2013 et ce, sans préjudice des délais de prescription.
Par tolérance toutefois, l’administration a retenu la date du 1er juillet 2021 comme date pivot à partir de laquelle les régularisations doivent être effectuées.
Cette tolérance ne s’applique toutefois aux mises à disposition dont la contrepartie est constituée intégralement d’un paiement effectué par le membre du personnel à son entreprise (montant intégral déduit du salaire net).
Enfin, dans un souci de simplification, l’administration admet que la contrepartie soit considérée comme un montant TVA comprise pour les régularisations à opérer.
Ainsi, le montant de TVA à régulariser devrait être calculé comme suit : (((Loyer HTVA + Frais HTVA) x 65 %) / 1,21) x 21 %.
L’objectif serait, selon l’administration fiscale, d’éviter de devoir recalculer l’avantage de tout nature à l’impôt des personnes physiques. A notre estime, l’avantage de tout nature à l’impôt des personnes physiques devrait toujours être calculé selon la formule fixée par l’article 18 de l’Arrêté Royal portant exécution du Code des impôts sur les revenus et être entendu toute taxe comprise[5].
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Si cette circulaire ne vise que les situations transfrontalières, elle pourra toutefois avoir un impact sur les situations nationales.
L’administration entendra-t-elle être plus stricte dans l’application de la TVA sur les véhicules mis à disposition par des sociétés belges à des résidents belges ?
Quel sera l’impact sur le calcul des ATN à l’impôt des personnes physiques ?
N’hésitez pas à nous contacter pour de plus amples informations.
Olivier Willez Charlotte Watteyne
Partner Senior associate
[1] Article 56, § 2 du Code TVA, transposé à l’article 21bis, § 2, 7° du Code TVA.
[2] Circulaire 36/2015, n° 33.
[3] Circulaire 36/2015, n° 158.
[4] Circulaire 36/2015, n° 159.
[5] Article 36/39 du Commentaire administratif.